jeudi 29 octobre 2015

I'm not there.




 I’m not there.

Ah… Mais que voilà un film intéressant ! Sorti en 2007, il a été réalisé par Todd Haynes, dont la passion semble être de retracer la vie des autres de manière originale (Superstar: The Karen Carpenter Story, son premier film de 1987, racontait celle de la chanteuse des Carpenters avec des poupées Barbie. Oui, tout à fait. En Super 8. ). Il nous présente ici la vie de Bob Dylan, qui je le rappelle est l’une des plus grandes figures de la chanson populaire, en composant des morceaux sur l’actualité de son temps et les problèmes sociaux à travers un répertoire blues, folk, country, rock,… Cette icône si complexe, à la fois dans son style et dans sa vie privée, a été étudiée ici par Haynes de manière très inconventionnelle et déstabilisante (voire incompréhensible si l’on n’a pas un minimum préparé le visionnage avant) : il en dresse une sorte de portrait chinois à-travers l’histoire de six personnes complètement différentes qui montrent un aspect particulier de la personnalité de Dylan (une jeune garçon qui fugue pour partir voir son idole à l’hôpital, un rebelle, une star qui se tourne vers la religion, un homme à la vie privée tourmentée, un homme tourmenté en opposition avec son temps, un homme vieillissant qui fuit, comme l'enfant du début). Nous ne le voyons d'ailleurs que deux fois brièvement, au début, comme pour donner le but du film (après un accident de moto, il est autopsié) et à la fin, lorsqu’il monte sur scène pour jouer de l’harmonica, ce qui représente vraiment une infime partie du film.

Cet OVNI est un délice de complexité, même si parfois, on peut se demander si cela n’a pas été complexifié gratuitement. On s’y perd, puis on s’y retrouve et on se perd à nouveau à plaisir. C’est un film sur lequel il faut réfléchir, et il n’y a pas besoin de connaître Bob Dylan, ou d’en être un fan inconditionnel pour aimer. Après, il faut se demander si le concept lui-même est justifié : est-ce une bonne idée de découper ainsi une personnalité en plusieurs personnes, alors que Dylan est vraiment un être à part, unique ? En même temps, je trouve que c’est tout à fait légitime, voire même génial, car cela permet à chacun de s’identifier à l’une des personnes, de se retrouver en Dylan, et le rendre donc plus ou moins universel, ce qui était à la base, le but de ses chansons. De plus, Dylan n’a cessé de changer d’identité, pour échapper à sa notoriété. 

Les liens entre les personnages peuvent paraître parfois un peu factice, crées pour rattraper le spectateur perdu, comme la guitare au début et à la fin, entre les mains de Woodie Guthrie et de Billy the Kid, ou le personnage "narrateur" (Arthur Rimbaud) qui permet de raccrocher les wagons. Mais quoi qu’il en soit, la répartition du temps du film entre les personnages est bien faite, pour que l’on ne s’ennuie pas sur un personnage pendant qu’un autre est laissé à l’abandon. Quoique Haynes s’attarde un peu trop sur Robbie Clark et Jude Quinn, enfin surtout sur des détails dont l’on ne comprend pas trop l’intérêt, peut-être simplement parce qu’ils n’ont pas été assez approfondis. Il a choisi un nombre important de personnages différents, et il faut bien le dire, le risqueétait qu’il ne développe pas assez toutes les histoires, et qu’il laisse des indices, comme pour laisser le spectateur libre de l’interprétation, nous laissant une idée un peu inachevée. Mais je trouve qu’il s’en sort bien, et que la réflexion qu’il provoque et les questions qu’il soulève sont très intéressantes, à la fois sur sa propre histoire, mais aussi sur la société. 

La manière dont ce film est tourné est aussi très intéressant : les ambiances sont toutes différentes, certaines tournées un peu comme un film amateur, d’autre comme un grand film de far-West…  Ambiance sombre, angoissante ou lumineuse, tout s’emmêle, comme les différentes personnalités de Dylan. Sans parler de la BO qui est une pure merveille et saura transporter n’importe qui dans l’univers du film.

Le jeu des acteurs est également à saluer. Le casting était tout de même idéal, il faut bien le dire (Christian Bale, Heath Ledger, Cate Blanchett, Richard Gere, Ben Whishaw...). Mais chacun joue parfaitement son rôle et se l’est approprié, comme l’enfant, très bien dans un rôle assez complexe, Bale reste comme à son habitude assez indéchiffrable et inexpressif, mais cela rentre très bien dans le caractère de son personnage. Heath Ledger est aussi parfait, mais il y a une mention spéciale pour le jeu de Cate Blanchett, qui nous montre un Jude Quinn torturé, malade, dépressif, mais génial, avec une énergie incroyable ; ce n’est pas évident de prendre un rôle d’homme en charge, et pourtant elle l’a fait, et avec brio ; c’est même étonnamment le plus crédible de tous, à mon avis. 

Todd Haynes réussi donc à dresser un portrait aussi complexe que son modèle, tout en nuances, tout en paradoxes, entre fantasme et réalité, en permettant à chacun de s’identifier à chaque personnage, tout en s’interrogeant sur sa société, qui, on peut le dire, n’a pas beaucoup évolué depuis.

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