Du Selfie.
Un mouvement, non, plutôt une
mode, s’est déclenchée depuis quelques temps, que dis-je, quelques années :
le selfie. Maintenant, nous pensons selfie, nous vivons selfie, nous mangeons
selfie. Oh oui. Nous en mangeons. Et si nous le pouvons plus, à cause d’une
quelconque indigestion, nous en absorbons par perfusion. Le selfie est partout,
nous environnant, nous dominant presque, comme l’ombre menaçante d’un rapace qui
plane au-dessus d’un pauvre petit lapin innocent et tout mignon. Ce phénomène
est maintenant normalisé et établi, puisqu’il va même faire une entrée décisive
dans notre cher Larousse en 2016. Le selfie est donc, pour le dire dans des
termes académiques : « une photo prise de soi-même à bras portant
avec son téléphone portable ou son appareil photo destiné à être publié sur internet ;
la photo a pour but de montrer une expression particulière, un décor ou une
personne importante ». Avec ses nombreux dérivés, tous plus étonnants les
uns que les autres : le delfie (aussi death-selfie, photo prise à un
enterrement), le welfie (le moins tordu de tous : photo de soi en train de
faire du sport), le drelfie (pour prendre très gentiment son ami, ou soi-même,
ou les deux, complètement cuits par l’alcool) et le plus populaire de tous en ce
moment : le belfie (photo de son beau popotin). Et j’en passe et des
meilleures.
Mais quelle est la valeur communicationnelle du selfie ?
Parce que, quoique l’on en dise,
c’est un acte communicationnel, malgré le fait qu’il soit tourné vers soi, et
que les plus vilains le qualifient de « narcissisme exacerbé ». Il a tout de même vocation à être diffusé, ou
du moins montré ! Alors est-ce un moyen de communiquer avec d’autres, ou
bien de se montrer ? Je pense que derrière cette volonté de se mettre en
avant, il y a à la fois le révélateur d’un certain mal être et une envie de
participer à cette ritualisation sociale. Un mal-être, oui, même si chacun veut
se voiler la face. L’évidence serait de dire qu’il s’agit d’un mal être
personnel, une sorte de volonté d’être reconnu par cette image, car une
certaine hypocrisie de notre société, il faut bien le dire, fait que personne
ne va critiquer le cliché en question (« oh, tu es trop belle, ma
chéwiiiiie »). C’est une manière de prouver une existence, que ce soit la
sienne, ou celle d’un lieu ou d’une personne, une manière de se rassurer.
Mais évidemment, il ne s’agit pas
que de ce mal-être personnel. Il est peut-être tout simplement social, car il est
le reflet d’une volonté de s’affirmer en tant qu’individu, dans une société qui
a tout de même tendance à vouloir mettre en avant la majorité, le tout, le « peuple »,
les « citoyens », termes généraux qui ont tendance à écraser la
particularité. Mais c’est ici que le selfie devient paradoxal : en
affirmant notre individualité par cette photo, nous créons une nouvelle
généralisation, puisque le phénomène s’étend ; et, alors que le mouvement
était en lui-même original, ce sont maintenant les clichés les plus recherchés,
les plus originaux qui sont valorisés (d’où les dérives…).
Chacun veut montrer qu’il adhère
à ce « geste », qui, soit dit en passant, existe depuis bien
longtemps, pour s’inclure dans notre société et ne pas se sentir à part. Ce
mode de communication a crée un réseau immense de personne, tissant une sorte
de lien social interculturel, international, inter-tout-ce-que-vous-voulez.
Donc même si la personne est seule sur la photo, elle est fondamentalement liée
au reste du réseau, qui a d’ailleurs la particularité de nous rapprocher des
individus habituellement inatteignables, comme des stars, des hommes
politiques, et même le Pape. Et plus récemment, d’un macaque qui a fait une
entrée remarquée et remarquable dans ce réseau !!
Alors peut-être le selfie est-il la forme la plus totale et la
plus aboutie de la communication, alliant image, message, et réseau. Ou bien
justement, un échec de cette communication en s’infiltrant tellement
dans notre intimité qu’il nous rend, nous et notre message, complètement
transparents.
Qu’en pensez-vous ? :-D
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