Depuis notre tendre enfance, nous
agissons et grandissons sous le regard des autres. Dans son œuvre Huis Clos de 1943, Jean-Paul Sartre
écrit: « Tous ces regards qui me mangent… Ha, Vous n’êtes que deux ?
Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. Alors, c’est ça, l’enfer. Vous vous
rappelez : le souffre, le bûcher, le gril… Ah ! Quelle plaisanterie.
Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les autres ». L’enfer, c’est le
lieu ultime de la punition et de la souffrance, tout comme le regard étranger,
selon lui.
Toutefois, faut-il craindre le regard des autres ?
Le regard de l’autre n’est jamais
neutre, il porte toujours en lui un jugement, pas toujours très gentil. Chaque
coup d’œil que l’on jette sur l’autre, c’est une réflexion que l’on se fait sur
sa personne, sur son physique ou son psychisme. Et à certains égards, ce regard
nous modifie en profondeur ou modifie celui que l’on regarde, et cela risque de
compromettre notre vraie personnalité. D’une part ce regard peut être faussé ou
influencé par les préjugés, à cause de sa subjectivité et par ignorance, et d’autre
part cela peut entraîner une modification du regardé qui va essayer de se
conformer ou de tout faire pour contrevenir au jugement émit contre lui.
Agir sous le regard d’autrui, c’est être sous influence et
parfois renoncer à soi pour plaire ou tout simplement pour être aimé. Nos choix
ne sont jamais totalement libres ; il y a toujours une part, peut-être
inconsciente, d’influence, voire de manipulation par le regard de l’autre. Rien
que par le regard, nous pouvons faire passer un nombre incroyable d’idées, et
nous pouvons immédiatement y sentir le jugement qui est fait contre nous. Un
simple regard suffit parfois à nous faire taire, parce que ce regard nous
montre que la personne en face n’aime pas ce que nous allons dire (le fameux
regard foudroyant de ses parents ou de sa moitiée…). Nous nous autocensurons
face à ce regard, et nous renonçons à nous exprimer pour lui.
En plus, nous pouvons craindre ce regard, parce qu’il est capable
à lui seul de percer les secrets de notre être ; ne dit-on pas « je lis
en toi comme dans un livre ouvert » ? Et ce regard peut mettre au
jour des faiblesses que l’on ne voudrait jamais voir dévoilées. Le regard d’autrui
est souvent perçu comme un poids ; par peur de décevoir ou déplaire, nous
n’osons parfois pas affirmer nos choix et nous laissons influencer. Il met à a
la fois en danger ma liberté et mon identité.
Toutefois, le regard de l’autre
peut aussi être un puissant vecteur de motivation ! Le regard bienveillant
d’une mère encourage l’enfant à se dépasser. Celui d’un ami nous permet de
prendre conscience de nos qualités ou de nos défauts, et de nous corriger ou de
nous donner davantage confiance en nous. Comme l’a dit Sartre, « autrui
est le médiateur de moi à moi-même ». Il nous permet de devenir meilleur,
de nous rendre compte de nos erreurs et de nos bonnes actions ; pour ne
pas être isolé de la société et pouvoir s’y adapter correctement, en évitant de
laisser ses passions prendre le pas sur sa conscience. Même sévère ou exigeant,
le regard des autres m’aide à me construire et à faire de moi quelqu’un qui est
reconnu en tant qu’individu.
Nous avons tous plus ou moins rêvé un jour de devenir célèbre :
que traduit ce souhait ? Vouloir être reconnu comme individu, et être admiré,
voire de laisser une trace pour que même après notre disparition, d’autres
puissent voir et juger notre « œuvre ». Nous avons tous un désir de
nous faire juger, et cela nous pousse à donner le meilleur de nous même pour que
ce jugement soit le meilleur possible. Y renoncer, c’est renoncer à être
reconnu et risquer d’être enfermé dans nos certitudes. Il faut, pour que le
contact soit réussi et productif, accepter de risquer ses valeurs et de se
transformer par ce regard, ce qui n’est certes, pas évident ; c’est d’ailleurs
là que l’on voit émerger la mauvaise foi.
Mais heureusement, le regard d’autrui n’est pas qu’un
instrument pour servir notre égocentrisme, pour nous améliorer ou mieux nous
voir. Il faut respecter ce regard qui constitue également l’intégrité de la
personne qui nous regarde… Et peut-être que cette crainte que nous pouvons
avoir peut aussi être une marque de respect, pour ne pas choquer ou décevoir la
personne en face. Cela semble donc être le seul moment où une quelconque
crainte puisse être justifiée.
Alors qu’en pensez-vous ? Si
le regard des autres nous révèle à nous-mêmes mieux qu’un miroir, ne nous enferme-t-il
pas en même temps dans un moi factice
qui n’est pas vraiment nous ? Faut-il ignorer le regard des autres pour
être vraiment soi-même ?
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