I’m not there.
Ah… Mais que voilà un film intéressant !
Sorti en 2007, il a été réalisé par Todd Haynes, dont la passion semble être de
retracer la vie des autres de manière originale (Superstar: The Karen Carpenter Story, son premier film de 1987,
racontait celle de la chanteuse des Carpenters avec des poupées Barbie. Oui,
tout à fait. En Super 8. ). Il nous présente ici la vie de Bob Dylan, qui je le
rappelle est l’une des plus grandes figures de la chanson populaire, en
composant des morceaux sur l’actualité de son temps et les problèmes sociaux à
travers un répertoire blues, folk, country, rock,… Cette icône si complexe, à
la fois dans son style et dans sa vie privée, a été étudiée ici par Haynes de
manière très inconventionnelle
et déstabilisante (voire incompréhensible si l’on n’a pas un minimum
préparé le visionnage avant) : il en dresse une sorte de portrait chinois
à-travers l’histoire de six personnes complètement différentes qui montrent un
aspect particulier de la personnalité de Dylan (une jeune garçon qui fugue pour partir voir son idole à l’hôpital, un rebelle, une star qui se tourne vers la religion, un homme à la vie privée tourmentée, un homme tourmenté en opposition avec son temps, un homme vieillissant qui fuit, comme l'enfant du début). Nous ne le voyons d'ailleurs que deux fois brièvement, au début, comme pour donner le but du film
(après un accident de moto, il est autopsié) et à la fin, lorsqu’il monte sur
scène pour jouer de l’harmonica, ce qui représente vraiment une infime partie
du film.
Cet OVNI est un délice de
complexité, même si parfois, on peut se demander si cela n’a pas été
complexifié gratuitement. On s’y perd, puis on s’y retrouve et on se perd à nouveau
à plaisir. C’est un film sur lequel il faut réfléchir, et il n’y a pas besoin
de connaître Bob Dylan, ou d’en être un fan inconditionnel pour aimer. Après,
il faut se demander si le concept lui-même est justifié : est-ce une bonne
idée de découper ainsi une personnalité en plusieurs personnes, alors que Dylan
est vraiment un être à part, unique ? En même temps, je trouve que c’est tout
à fait légitime, voire même génial, car cela permet à chacun de s’identifier à
l’une des personnes, de se retrouver en Dylan, et le rendre donc plus ou moins
universel, ce qui était à la base, le but de ses chansons. De plus, Dylan n’a
cessé de changer d’identité, pour échapper à sa notoriété.
Les liens entre les personnages
peuvent paraître parfois un peu factice, crées pour rattraper le spectateur
perdu, comme la guitare au début et à la fin, entre les mains de Woodie Guthrie
et de Billy the Kid, ou le personnage "narrateur" (Arthur Rimbaud) qui permet de raccrocher les wagons. Mais quoi qu’il en soit, la répartition du temps du film
entre les personnages est bien faite, pour que l’on ne s’ennuie pas sur un
personnage pendant qu’un autre est laissé à l’abandon. Quoique Haynes s’attarde
un peu trop sur Robbie Clark et Jude Quinn, enfin surtout sur des détails dont
l’on ne comprend pas trop l’intérêt, peut-être simplement parce qu’ils n’ont
pas été assez approfondis. Il a choisi un nombre important de personnages
différents, et il faut bien le dire, le risqueétait qu’il ne développe pas
assez toutes les histoires, et qu’il laisse des indices, comme pour laisser le
spectateur libre de l’interprétation, nous laissant une idée un peu inachevée. Mais
je trouve qu’il s’en sort bien, et que la réflexion qu’il provoque et les
questions qu’il soulève sont très intéressantes, à la fois sur sa propre
histoire, mais aussi sur la société.
La manière dont ce film est
tourné est aussi très intéressant : les ambiances sont toutes différentes,
certaines tournées un peu comme un film amateur, d’autre comme un grand film de
far-West… Ambiance sombre, angoissante
ou lumineuse, tout s’emmêle, comme les différentes personnalités de Dylan. Sans
parler de la BO qui est une pure merveille et saura transporter n’importe qui
dans l’univers du film.
Le jeu des acteurs est également
à saluer. Le casting était tout de même idéal, il faut bien le dire (Christian Bale, Heath Ledger, Cate Blanchett, Richard Gere, Ben Whishaw...). Mais
chacun joue parfaitement son rôle et se l’est approprié, comme l’enfant, très
bien dans un rôle assez complexe, Bale reste comme à son habitude assez
indéchiffrable et inexpressif, mais cela rentre très bien dans le caractère de
son personnage. Heath Ledger est aussi parfait, mais il y a une mention
spéciale pour le jeu de Cate Blanchett, qui nous montre un Jude Quinn torturé,
malade, dépressif, mais génial, avec une énergie incroyable ; ce n’est pas
évident de prendre un rôle d’homme en charge, et pourtant elle l’a fait, et
avec brio ; c’est même étonnamment le plus crédible de tous, à mon avis.
Todd Haynes réussi donc à dresser
un portrait aussi complexe que son modèle, tout en nuances, tout en paradoxes,
entre fantasme et réalité, en permettant à chacun de s’identifier à chaque
personnage, tout en s’interrogeant sur sa société, qui, on peut le dire, n’a pas
beaucoup évolué depuis.
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