lundi 21 décembre 2015

Le spectateur et l'oeuvre


The Marriage of Reason and Squalor, II, Frank Stella, 1959, Museum of Modern Art, New York.

               Cette œuvre est signée Frank Stella (né en 1936), artiste américain considéré comme précurseur de l’art minimaliste, et artiste principal de l’Op Art, ou art optique, qui exploite la fiabilité de l’œil au-travers d’illusions ou de jeux optiques. Il commence tout d’abord par être influencé par l’expressionnisme abstrait, avant de rejeter son lyrisme et l’utilisation de la peinture comme moyen d’expression d’une intériorité en 1950. Sa première exposition est dédiée à ses Black Paintings dont est issu le tableau que nous allons étudier. Carl Andre, artiste plasticien américain, écrira au sujet de ces œuvres : « l’art exclu le superflu, ce qui n’est pas nécessaire. Pour Franck Stella, il s’est avéré nécessaire de peindre des bandes. Il n’y a rien d’autre dans sa peinture. Frank Stella ne s’intéresse pas à l’expression ou à la sensibilité. Il s’intéresse aux nécessités de la peinture… Ses bandes sont les chemins qu’emprunte le pinceau sur la toile. Ces chemins ne conduisent qu’à la peinture. » Cette phrase représente bien l’idéologie de Stella, selon qui « what you see is what you see».

               Cette œuvre, intitulée The Marriage of Reason and Squalor, II, fut réalisée en 1959. Ce titre, signifiant littéralement Le Mariage de la Raison et de la Misère (Noire), est accrocheur et contraste avec l’œuvre qui se limite à une couleur, le noir, et à un dessin en bande géométriques peu apparentes dans une facture très impersonnelle et plate. Le mariage renvoie à un thème classique de l’art, traité de manière académique, ce qui n’est pas le cas ici. Le noir est certes la couleur de la toile, mais il est travaillé de telle sorte qu’il s’associe virtuellement au blanc de la lumière qui se reflète dans l’œuvre. 

                 Le support est en toile et la technique utilisée est l’émail. L’œuvre est composée de U noirs inversés et parallèles, contenant des bandes séparées par de fines lignes de toile vierge. Le motif géométrique est répété, sans figuration ni coup de pinceau expressif de l’œuvre, et le spectateur est obligé de reconnaitre cette toile comme une simple surface plane recouverte de peinture, sans représentation. Elle mesure 2,30 m par 3,40 m, ce qui invite le spectateur à s’éloigner de l’œuvre pour mieux l’appréhender. 

               La couleur noire est une couleur qui fait débat car elle pose la question de savoir si nous pouvons la considérer comme une couleur ou non. Il est maintenant à peut près acquis que le noir est une couleur, mais qui représente l’absence de couleur. Traditionnellement, cette couleur évoque le deuil, l’autorité, la révolte, la sobriété ou le mystère. Elle a été le premier pigment préparé par l’homme à partir de bois carbonisé ; elle reste la couleur la plus consommée par l’homme pour l’écriture, l’imprimerie, la peinture, et elle est également la couleur pour laquelle il existe le plus grand nombre de procédés de production. Il s’agit ici de peinture industrielle, dont l’utilisation est caractéristique des œuvres minimalistes. 

                La lumière de l’œuvre est due aux stries claires et à la réflexion de la lumière du lieu ou elle est exposée sur le pigment noir, ce qui lui donne de nombreux reflets. Nous retrouvons bien ici toutes les caractéristiques des œuvres minimalistes, avec une volonté de ne pas représenter un sujet précis auquel le spectateur peut se raccrocher. L’œuvre n’existe que grâce au regard de celui-ci et à la relation qu’il crée avec elle. Son environnement aussi est important ; la lumière se reflète sur elle, la place qu’elle prend dans son environnement, puisqu’elle est grande, est aussi capitale : l’œuvre rayonne hors de son cadre par illusion d’optique, virtuellement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire